La réforme du droit des obligations, un atout pour les entreprises ?

mai 2016Droit des contrats

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Napoléon Bonaparte disait : « Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ; ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil ».

Le Code civil français de 1804 ne vivra peut-être pas éternellement mais force est de constater qu’il continue de régir le droit des contrats français, ses dispositions n’ayant été que marginalement modifiées depuis plus de deux siècles.

Toutefois, parallèlement, la pratique a considérablement évolué et le code civil s’est montré de plus en plus vieillissant. Les praticiens réclamaient ainsi une réforme du droit des obligations depuis une décennie.

En effet, une part substantielle du droit positif des contrats s’est développée en dehors du code, à travers une jurisprudence certes efficace mais dont on a souvent reproché le manque de clarté et de simplicité, compromettant ainsi l’accessibilité du droit, pourtant érigée depuis la codification napoléonienne au rang de principe fondamental. Indéniablement son efficacité s’en est aussi trouvée remise en cause. De surcroît, l’internationalisation des affaires et le développement du droit comparé des contrats a inévitablement mis le droit français en concurrence avec ceux des pays voisins en particulier de la common law.

La réforme, entrant en vigueur le 1er octobre 2016, vise principalement à adapter le code civil aux besoins de la pratique et à l’ère du numérique en conciliant sécurité juridique et attractivité économique. Si elle consiste en théorie en une simple codification à droit constant de la jurisprudence, on peut néanmoins d’ores et déjà présager l’importance de son impact dans la pratique.

I. Un nouveau cadre juridique favorable aux entreprises

Cette nouvelle réforme aura assurément des effets positifs pour les entreprises. En effet, d’une part, elle codifie et rend plus clairs des principes essentiellement prétoriens utilisés quotidiennement par les juristes et avocats, apportant ainsi une sécurité juridique propice à la vélocité des affaires. D’autre part, elle vise à redorer l’image du droit français afin de le rendre plus attractif dans un contexte d’internationalisation des affaires.

A. Une actualisation du droit devenue indispensable pour plus de sécurité juridique

Il s’agit de rendre le droit plus accessible aux praticiens tant sur le plan formel que substantiel.

Au plan formel, l’actualisation se caractérise par une réorganisation générale du code. Dorénavant, son plan se déroule de manière chronologique en partant de la négociation du contrat jusqu’à son inexécution.

Les sources des obligations (le contrat, la responsabilité extracontractuelle, et les autres sources) figurent ainsi en premier, suivies par le régime général des obligations et par le régime de la preuve. Il convient également de saluer l’actualisation et la simplification des termes employés, pour la plupart désuets, ceux-ci étant restés inchangés depuis le 19e siècle. La simplification passe aussi par la transposition dans le code de règles et de définitions prétoriennes telles que la force majeure pour n’en citer qu’une.

Renforcer la certitude du droit par sa codification et sa simplification renforce la sécurité juridique et constitue indéniablement un facteur de célérité pour les entreprises en leur facilitant l’accès au droit.

Au plan substantiel, au-delà de l’accessibilité, c’est l’adaptation même du code civil à l’ère du numérique qui est apparue indispensable. On trouve désormais, dans la partie relative à la formation du contrat, des règles spécifiques à l’e-contrat par l’insertion de la loi LCEN (Loi pour la confiance dans l’économie numérique) de 2004. Le régime de la preuve a également été réformé, par exemple, la force probante des écrits électroniques s’élève désormais au même rang que les écrits papier. Cette adaptation, devenue nécessaire, prend en compte les évolutions technologiques qui ont déjà bouleversé la pratique des affaires. Compte tenu de l’essor du commerce électronique et de la multiplication des contrats en ligne, l’intégration de règles relatives aux écrits électroniques était devenue urgente.

Autre exemple, l’introduction de la notion de copie fiable, c’est-à-dire la reproduction à l’identique du contenu et de la forme d’un l’original dont l’intégrité est garantie dans le temps, aura la même force probante que l’original. D’un point de vue pratique, l’archivage électronique pour les entreprises devrait être amplement facilité.

Outre la volonté de renforcer la sécurité juridique des contractants, la simplification du code civil vise également à accroître l’attractivité du code civil français par la promotion de l’efficacité économique.

B. Rendre à nouveau le droit français attractif

Les contrats restent la base des échanges économiques. Ainsi la réforme, qui cherche indéniablement à les stimuler, s’inscrirait quasiment dans une optique de politique économique. On peut considérer un contrat économiquement efficace lorsqu’il permet aux parties d’en retirer un gain pour un moindre coût (coût de la transaction en elle-même et coûts liés à cette transaction) tout en limitant au maximum les imprévus. Bon nombre d’auteurs s’accordent à dire que cette efficacité passe par une souplesse et une liberté contractuelle, objectifs que les instigateurs de la réforme ont cherché à atteindre.

La réforme vise tout d’abord à renforcer l’efficacité économique du droit des contrats. Elle favorise des mécanismes moins lourds ne nécessitant pas le recours au juge. On peut ainsi citer la résolution unilatérale ou encore l’exception d’inexécution. De manière plus globale, la réforme ambitionne de rendre plus flexible les relations entre les parties en leur permettant de recourir à la réduction du prix, la simplification de la cession de créance …

Il s’agit également, d’un point de vue international, de rendre compétitif le droit français des contrats et ses entreprises, face aux droits « concurrents » des autres pays européens. D’une part, le code civil s’alignera sur les pratiques contractuelles en vigueur avec les partenaires économiques. D’autre part, les entreprises étrangères seront plus enclines à accepter le droit français.

II. Des conséquences pratiques à double tranchant

La clarification générale du cadre légal du droit des obligations aura des conséquences pratiques positives pour les entreprises par la fluidification de leurs relations contractuelles. On pourra toutefois pressentir certains effets secondaires menaçant l’équilibre des contrats ainsi que leur sécurité.

A. Des relations contractuelles fluidifiées

La réforme a principalement tenu à s’adapter au plus près des pratiques en vigueur et ce, à tous les stades du contrat. Elle encourage ainsi la liberté contractuelle tout en incitant les parties à collaborer.

La rénovation du droit des contrats met en place une approche collaborative des négociations afin de diminuer la potentielle asymétrie d’information entre les entreprises contractantes. Le devoir général d’information se trouve consacré, interdisant ainsi toute dissimulation d’information déterminante.

Les contractants disposent désormais de moyens non judiciaires pour éliminer l’incertitude d’un contrat. Dans une optique d’efficience du contrat, cela leur permet d’épargner à terme du temps et de l’argent. Cette recherche d’efficacité du contrat s’illustre par des consécrations de règles jurisprudentielles mais aussi par des nouveautés. Les parties bénéficient de davantage de souplesse pour faire face aux aléas. L’exception d’inexécution, si cette dernière présente un caractère suffisamment grave, est renforcée par son inscription dans le code. De plus, les contractants peuvent réadapter leur contrat en choisissant de réduire unilatéralement le prix en cas d’exécution imparfaite du contrat plutôt que de le résilier.

Un contrat qui s’étale dans le temps augmente le risque d’aléas imprévisibles pour les parties. Ces évènements, rendant l’exécution du contrat extrêmement difficile et créant un déséquilibre entre les contractants, peuvent augmenter les coûts liés au contrat de manière exponentielle. Ainsi, permettre aux entreprises d’adapter le contrat en cas d’imprévu par l’admission de la théorie de l’imprévision représente une avancée bienvenue. Pour rappel, cette théorie s’applique lorsqu’un changement imprévisible rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse.

Par exemple, en cas de hausse subite du prix des matières premières obligeant une revente à perte, l’application de ce nouveau mécanisme permet la renégociation du contrat. En dernier recours, en cas de refus ou échec de la renégociation, le juge interviendra pour procéder à l’adaptation du contrat. Du coup, les parties s’ajustent à la réelle situation économique de leur contrat et s’assurent de son application effective.

Il est toutefois reproché à la théorie de l’imprévision de constituer une menace pour la prévisibilité du contrat.

B. Des risques à ne pas négliger

La réforme revêt de multiples aspects positifs, toutefois les entreprises devront rester vigilantes. Si certaines modifications semblent constituer une véritable avancée pour la pratique, elles comportent néanmoins des effets insidieux.

Les acteurs économiques ont besoin de stabilité, de sécurité et de prévisibilité pour pouvoir contracter, et ce, particulièrement lorsqu’il s’agit de s’engager à long terme ou pour des enjeux importants. Or, la réforme pourrait produire l’effet inverse, ce qui nuirait non seulement aux entreprises françaises mais aussi aux investissements étrangers.

Paradoxalement, la sécurité juridique pourrait être menacée par les nouveaux moyens mis à la disposition des parties. Pour ne donner qu’un exemple, la possibilité pour un débiteur de céder sa dette sans l’accord du créancier, transformant alors ce dernier en simple garant, aura des répercussions néfastes sur le contrôle de la solvabilité des emprunteurs et placerait les banquiers dans l’impossibilité de respecter leur obligation de vigilance. On peut craindre que l’obtention d’un crédit n’en soit que plus malaisée.

La sécurité juridique et la liberté contractuelle des parties pourraient également être atteintes par l’intervention croissante du juge en raison des diverses possibilités accordées aux parties de modifier le contrat. Ainsi, l’introduction de la notion de déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion, qui rend non écrite la clause créant le déséquilibre, offre au juge une « porte d’entrée » dans le contrat. D’une part, la qualification du déséquilibre fera certainement l’objet de nombreux litiges, d’autre part, la dérive consumériste par la recherche d’une protection de la partie faible, au lieu de rétablir un équilibre, affaiblira la force obligatoire du contrat.

On peut aussi légitiment craindre une dérive vers un comportement nuisible des parties au bon déroulement du contrat. Avec l’introduction de l’imprévision, qui représente certes un gain d’efficience indiscutable, les entreprises devront être d’autant plus vigilantes à l’occasion de la mise en œuvre de ce dispositif. On peut ainsi d’ores et déjà prévoir des comportements opportunistes, où une partie tentera d’abuser du dispositif afin de modifier en sa faveur la répartition initiale des gains prévus au contrat.

De plus, on peut reprocher une surprotection qui s’oppose au principe de responsabilisation des relations d’affaire dans lesquelles le risque est intrinsèque.

Quant à l’attractivité du droit français, on peut craindre que la multiplication des possibles remises en cause du contrat puisse amener les entreprises à se tourner vers d’autres législations.